Textes de Muriel à l’atelier d’écriture de Nicole Martin en 2009-2010
Muriel
-COQUILLE OBSCURE-
Des murs blancs… Plusieurs étages… Ils viennent de me poser sur le sol ; un sol en matière
transparente. Je n’arrive pas à réagir. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je ne sais pas
pourquoi je suis là. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont enlevé et emmené jusqu’ici. Je ne sais pas
qui ils sont. Je ne sais pas…je ne sais pas.
A gauche, à droite, au-dessus, au-dessous de moi, du monde… beaucoup de monde… Des gens comme moi
; des gens terrorisés, égarés. Jamais je n’ai vu autant de monde dans si peu d’espace. Et ils
continuent d’en amener encore et encore. Mais que nous veulent-ils ?
_ Mais qu’est ce que vous me voulez ? Mais répondez au moins !
Pour toute réponse, la porte se referme et puis plus rien. L’obscurité. Une obscurité
chargée de gémissements, de cris, de supplications.
« Ils vont allumer la lumière, ils ne peuvent pas nous abandonner dans tout ce noir… Ils vont
allumer la lumière, ils ne peuvent pas nous abandonner dans tout ce noir. »
Je répète cette phrase, je m’accroche à cette phrase pour empêcher la boule nichée au creux de
mon ventre, de grandir, de me noyer.
J’écarquille les yeux, je dilate les pupilles pour découvrir un soupçon de lumière, une miette de
clarté. Rien, rien que du noir.
« Ils vont allumer la lumière, ils ne peuvent pas nous abandonner dans tout ce noir… Ils vont
allumer la lumière, ils ne peuvent pas nous abandonner dans tout ce noir. »
Il faut que je fasse quelque chose… Il faut que je me lève. Trouver la paroi de cette prison, la
suivre. Chercher une issue possible.
Je trébuche sur des corps ; certains grognent, d’autres ne réagissent même plus. Le boule au
creux de mon ventre enfle, se dilate un peu plus.
« Ils vont allumer la lumière, ils ne peuvent pas nous abandonner dans tout ce noir… Ils vont
allumer la lumière, ils ne peuvent pas nous abandonner dans tout ce noir. »
La voilà. Je pose mes mains sur la paroi. Elle est froide, très froide. Mais où nous ont-ils
enfermés ? Mes mains explorent cette paroi, mes mains la scrutent de plus en plus fébrilement,
malgré ce froid qui les engourdit. Une paroi lisse…horriblement lisse…hermétiquement lisse.
« Ils vont allumer la lumière, ils ne peuvent pas nous abandonner dans tout ce noir… Ils vont
allumer la lumière, ils ne peuvent... »
Noooooon ! Je vomis cette boule d’angoisse en hurlements. Hurler de peur, de désespoir, de rage.
Hurler pour ne pas mourir noyé de terreur.
Je m’effondre sur le sol. Je suis déjà vaincu.
Un bruissement… J’entends l’obscurité… L’obscurité si épaisse, si dangereuse se rassemble autour
de moi. Je la sens s’immiscer en moi. Elle grignote mon insouciance. Elle se délecte de mon
espérance. Elle envahit mes pensées. Elle contrôle mes souvenirs. Mon corps engourdi par le
froid, n’a même pas un sursaut pour échapper à son étreinte. Bientôt, je ne serai plus qu’une
coquille obscure, emplie de noir.
Aaaaah ! Mes yeux !...Mes pauvres yeux. Ils ont ouvert la porte. Ils ont allumé la lumière. Je me
recroqueville davantage pour échapper à cette déferlante lumineuse.
Des cris à ma gauche : _Non, ne prenez pas ma fille. Laissez-là ! Pas ma fille ! Nooooon !
Il faut que je les voie. Il faut que je sache qui ils sont. J’essaie de relever les paupières
mais des poignards se plantent dans mes pupilles. J’en pleure de rage. J’ai tellement espéré
cette lumière. Mais ce n’est qu’une obscurité de plus. Une obscurité blanche.
C’est déjà fini. Ils ont refermé la porte. Le noir…le silence…à peine perturbé par la mélopée
d’une femme… presqu’une berceuse…macabre… pour son enfant.
Maintenant je sais. Je sais qu’ils vont venir nous chercher un par un. Je sais que la lumière
signe leur arrivée et la disparition d’un d’entre nous…bientôt la mienne. Où vont-ils m’emmener ?
Que vont-ils me faire ? Je ne veux pas l’imaginer, mais j’ai beau éteindre ma mémoire, des images
d’horreur s’allument.
L’obscurité suspend tout…même le temps. Depuis combien de temps je suis ici ? Cinq heures ? Cinq
jours ? Plus ? Je ne sais pas.
Ils viennent de rouvrir la porte. Mais cette fois-ci, ils ont ramené quelqu’un à l’étage en-
dessous. Je suis épouvantablement fasciné par sa voix, par sa litanie qu’elle égraine dans son
délire :
« _Lacérations… brûlures… coupures... lacérations… brûlures… coupures… »
Une autre voix essaie de l’apaiser :
«_ Rappelle-toi…rappelle-toi de notre campagne…
_ Lacérations…
_Rappelle-toi de notre jardin…
_ Brûlures…
_ Rappelle-toi comme c’était beau, quand le soleil jouait avec les gouttes de rosées accrochées à
ta chevelure…
_ Coupures…
_ Rappelle-toi l’odeur de la terre juste après l’ondée…
_ Lacérations…
_ Rappelle-toi, la caresse du soleil qui nous faisait doucement rougir…
_ Stop! Tais-toi ! Mais qu’est ce que tu crois ! Tu…tu crois qu’avec tes pauvres mots…avec tes
souvenirs minables, tu vas réussir à t’évader de ce camp de concentration ! Mais tu débloques !
_ Lacérations…brûlures…coupures...lacérations…brûlures…
coupures… »
Et merde ! Je n’aurais pas du m’emporter. Je n’aurai pas du lui hurler ces mots. Mais son espoir
me faisait tellement mal…Je suis si fatigué… fatigué de peur…fatigué de froid…fatigué de
désespoir.
Obscurité noire, obscurité blanche, obscurité noire, obscurité blanche. Ils les ont presque tous
emportés. Nous ne sommes plus que deux à mon étage. Parfois, je me surprends à envier ceux qui
ne sont plus là. Pour eux c’est fini. Le cauchemar est terminé… Non…J’oublie que ce cauchemar
n’est qu’un purgatoire. J’oublie qu’après l’ouverture de la porte, il y a l’enfer… juste avant la
mort.
Obscurité blanche : Je panique. Je sens déjà leur main s’abattre sur moi et m’emporter. Non, non,
je veux rester ici ! Non, je veux que ce cauchemar continue. Je ne veux pas souffrir. Je ne veux…
Des corps me bousculent. Des voix m’interpellent. Ils ont du faire une nouvelle rafle. Les
nouveaux arrivants me harcellent de qui et de pourquoi.
_Laissez-moi. Ici il n’y a pas de réponse. Ici…ici, l n’y a que des plaintes, du noir, du froid…
et de la folie.
Je suis si fatigué… Je suis trop fatigué d’épouvante pour être celui qui console, celui qui
rassure.
Et puis, j’ai froid. J’ai si froid. Ce froid me brûle les veines. Ce froid me lacère le cœur. A
quoi bon résister… A quoi bon grappiller quelques minutes, quelques heures encore. Mon corps est
déjà froid, mes yeux sont déjà morts de tant de noir, mon cœur fait semblant de vivre. Je n’en
peux plus…Je n’en peux plus…
Je… je voudrais…je voudrais qu’on me prenne dans les bras. .. Je voudrais qu’on me cajole…Je…
voudrais me reposer… me blottir dans la chaleur de ma mère. Oh maman ! …Maman…Où es tu ? Est-ce
qu’ils t’ont enfermé toi aussi ? Est-ce qu’ils t’ont… Non, non pas ça. Pas ça… Elle est vivante…
Elle est quelque part dehors… Il faut que je la retrouve. Je vais m’évader… Il faut que je
m’évade, il faut que j’essaie. Au moins, je saurai qui ils sont et pourquoi je suis là.
************************************
_ Ah ! Quentin ! Qu’est ce que tu as encore fait ?
_ Mais, ce n’est pas ma faute, maman ! C’est l’œuf qui est tombé tout seul quand j’ai ouvert la
porte du frigo !