Textes de Marie Christine à l’atelier d’écriture de Nicole Martin en 2009-2010

Publié le par BadTaste

MARIE CHRISTINE


- Le blues du gardien de musée -


« Payer pour voir des trucs pareils, ça me dépasse. La p’tite rouquine, encore, elle est pas trop mal. Mais la vieille, elle a les seins qui pendent. Depuis le temps que je la regarde, je crois que j’suis arrivé à deviner son âge : elle doit avoir quatre vingt ans au bas mot. Avec ce ventre là, j’en déduis qu’elle doit avoir plusieurs lardons. Mais c’est bizarre… »
 - Oui, m’ssieurs dames, Munche, c’est au premier étage. Heureusement que Maurice m’a expliqué les tableaux qu’il surveille parce que je n’y connais rien moi !
 «  C’est bizarre, ce tableau : la vieille, elle a tout le bas du corps qui fait plus jeune que le haut. Les fesses sont rondes , les jambes et les cuisses musclées ; quatre vingt ans du haut, trente du bas. Et ces pieds, mais c’est les pieds d’un homme, j’en suis presque sûr maintenant. Rires.
Elle est obligée de se pencher, sinon elle déborderait de la toile. »
Hé , le p’tit, on franchit pas la bande de sécurité. C’est défendu. T’as pas vu ?Qu’est ce qu’elle t’apprend ta mère ! L’Art c’est l’Art. On rigole pas avec ça.
« Elle dort la rouquine ou quoi ? Y parait qu’avant, les rousses on les faisait brûler. On disait que c’était des sorcières . T’aurais pas fait long feu, ma Belle . Oh ! Chui marrant. J’fais des jeux de mots laids pour gens bêtes !
Le p’tit qu’elle tient contre  elle , c’est son rejeton ? I dort aussi. Mais qu’est ce qu’ils ont tous à roupiller…I vont finir par me donner sommeil.
J’me lève un peu. J’ai les fourmis dans les gambettes.
Je me fais la salle de long en large. Je reviens. Je m’assoie.
Il est mal fichu ce tableau. C’est qui ces gens d’abord ? Y’a du noir en haut , du bariolage au milieu.
C’est drôle, c’est plutôt la vieille qui devrait être blanche de peau, mais elle doit aller au soleil toute nue puisque c’est elle la plus bronzée. Franchement si j’allais chez les culs nus au Cap d’Agde, c’est la p’tite rouquine que j’aimerais croiser, pas la vieille.
Et ce marron avec les trucs qui dégoulinent de chaque côté, c’est de l’Art, ça, c’est de l’Art ?
Il a des goûts de bohémiens ce Klinte.
Quoique le tableau d’à côté, de Bacon, il est pas joyeux, joyeux. I pourrait faire un procès à sa mère. I l’gagnerait c’est sûr ! Chuis sûr que si on me donnerait  un pinceau et des tubes, ch’ferai aussi bien, même mieux, ma parole.
En face, i sont tout nus sur le tableau. Mais pourquoi c’est toujours comme ça ? On se promène pas tout nu. Où est-ce qu’ils ont vu ça ?
Et les autres, I sont tout verts. I zont le choléra ? C’était pendant la grande peste ? Ben dis donc, j’les mettrais pas dans mon salon : y’a de quoi faire des cauchemars.

Tiens, ya pus personne. J’vais rabaisser ma casquette sur les yeux et je vais me piquer un petit roupillon…

 

- Le Bal -

 

« C’est moi au premier plan sur la photo, les cheveux relvés par trois peignes. J’adorais cette coiffure ; c’était la seule façon de domestiquer ma chevelure que j’avais opulente à l’époque. Je me souviens très bien de cette journée. Ce jour là, j’avais décidé d’aller danser : à la libération tous les espaces étaient en fête. La musique avait kidnappé tous les lieux publics. Elle s’était approprié places, placettes, rues ruelles dans un immense mouvement perpétuel. Liesse générale, bonheur à tous les étages. Frénésie, volupté, mouvement tourbillonnant. Les  esprits virevoltaient aussi vite que les froufrous des jupes des filles. Tout était en perpétuelle activité. La vie renaissait après tous ces morts…Elle était plus forte que la Mort. Elle s’imposait, elle nous prenait par la main, elle nous emportait, nous bousculait, nous pressait, nous harcelait. Vivre était devenu une fin en soi, une activité à part entière !
 Roberto m’avait accompagnée. Regarde comme il pose pudiquement son bras sur mon épaule. C’était en tout début d’après-midi. C’est pour cela que je suis encore assise. Car après, je crois que je ne suis plus revenue sur ma chaise. J’ai dansé à en perdre haleine. Tu sais, c’était l’époque du swing et du be-bop. On dansait des heures. Tu as vu la hauteur des talons ?
 Dès les premières notes, les sœurs Arzoumanian s’étaient précipitées sur Maurice. Qu’a cela ne tienne ! Par bravade, il avait décidé de les faire danser toutes les deux à la fois. Il s’en était fort bien sorti, occupant tout le centre de la piste de danse.
 Tu vois la fille au fond, c’est la Raymonde. Quel regard elle lance aux trois danseurs ! C’est qu’elle l’aimait bien le Maurice. Elle en était folle. Mais lui ne lui jetait pas un regard. Elle faisait trop sa précieuse, sa mijaurée. Lui, c’était un bon garçon, sérieux, travailleur et honnête. Il ne voulait pas s’afficher avec cette pimbêche.
 A droite, là, il y a deux filles qui dansent ensemble. Maintenant, vous les jeunes, vous ne faites plus ça. Vous avez honte. C’est bien dommage. Quand on va danser, on danse ! »

Publié dans Atelier d'écriture

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